On parle enfin d’écoconception à grande échelle, et c’est une excellente nouvelle.
Pourtant, beaucoup de clients ou de collègues, encore peu sensibilisés ou formés au sujet, le perçoivent comme une montagne infranchissable.
Aujourd’hui, je vous propose de prendre un peu de recul et de décrypter ensemble cette notion pour savoir comment s’y mettre concrètement.
Si internet était un pays, il serait le 6e plus gros pollueur mondial (source).
En France, en 2022, le numérique représente 4,4% des émissions de GES, pour vous donner une idée, on le compare souvent à l’aviation civile qui représente elle entre 4 à 5% des émissions GES en France (sources : CITEPA, ADEME, 2022).
Si rien n’est fait, l’empreinte carbone du numérique pourrait être multipliée par trois d’ici 2050, selon les projections de l’ADEME (l'étude complète ici).
Par ailleurs, les sites ecommerce n'ont jamais été aussi complexe (hausse de 28% de la taille du DOM en 2025) et moins de 2% des ecommerces Français dépassent la note C sur EcoIndex. La grande majorité plafonne entre F et G - preuve que la sobriété numérique reste encore loin des pages d'accueil...
Pendant longtemps, la fabrication des terminaux (ordinateurs, smartphones, écrans) était considérée comme la principale source d’impact environnemental. Or, les données les plus récentes (publication janvier 2025, chiffres 2022) donnent un nouvel éclairage : la part de la fabrication est passée de 78 % à 50 %.
Pourquoi ce basculement ?
Car l’ADEME, n’avait jamais pris en compte dans son calcul les data centers à l’étranger. Et nos usages sont malheureusement concentrés sur ceux-là.
Accessoirement entre 2020 et 2022, plusieurs nouveaux centres de données ont été mis en service, modifiant aussi la répartition des impacts.
L’optimisation des plateformes et des usages devient alors aussi stratégique que la sobriété matérielle.
La première ressource affectée par le numérique n’est pas l’énergie, mais l’eau, pour refroidir les serveurs, produire des ressources, de l’énergie … (GreenIT.fr).
Quant à l’IA générative, son impact n’est pas encore intégré dans les bilans officiels, mais les estimations laissent présager une forte hausse de la consommation en électricité et en eau, lorsque que l’on sait qu'une requête IA équivaudrait à une dizaine de requêtes Google.
Les premiers résultats du baromètre de l'écoconception digitale publié par GreenIT et Razorfish nous dit déjà deux choses :
• L'IA agentique présente un impact environnemental nettement supérieur à celui de l'IA générative
• Quelle que soit sa forme, L'IA restera plus coûteuse qu'un parcours utilisateur classique pour cause son interface s'ajoute aux impacts du service existant
Utiliser l’IA agentique à des fins génératives peut avoir des impacts environnementaux jusqu’à 60 fois supérieurs à ceux de l’IA générative. (Source : Baromètre de l'écoconception digitale 2025, GreenIT & Razorfish, Novembre 2025)
• « L’écoconception, c’est moche »
Faux, les sites référencés sur Lowww ou Designers Éthiques prouvent qu’on peut allier sobriété et créativité
• « L’écoconception, ça freine l'innovation »
Faux, elle stimule la créativité : elle pousse à concevoir autrement, à repenser les besoins réels et à simplifier les parcours
• « C’est trop complexe à mettre en place »
Faux, une démarche UX centrée utilisateur intègre déjà naturellement les grands principes de frugalité et d’efficacité
Quatre acteurs publics et un référentiel structurent aujourd’hui le paysage français de l’écoconception numérique:
- L’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques, suit et publie chaque année des indicateurs sur l’impact environnemental des réseaux. Elle publie un observatoire annuel de l’impact environnement du numérique avec l’ADEME
- L’ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, régule les usages et contenus (plateformes, médias, publicité). Elle collabore avec l’ARCEP sur la mesure de l’empreinte du streaming audiovisuel
- L’ADEME, enfin, joue un rôle d’expertise et d’accompagnement auprès des entreprises, en publiant des données de référence et des outils concrets.
- Le RGESN (Référentiel Général d’Écoconception des Services Numériques), publié par le gouvernement en 2023. Il définit un socle de bonnes pratiques et deviendra progressivement obligatoire avec la Stratégie Numérique Responsable. Les premières obligations légales sont attendues entre 2026 et 2027, avec un système de sanctions inspiré du RGAA (accessibilité numérique). Pour l’instant, ce référentiel est un outil d’évaluation déclaratif qui comporte 79 critères. Il vous donne un pourcentage de conformité à la fin, tout est manuel. Un plug-in existe également, celui-ci vous permet de remplir le formulaire de manière dynamique tout en naviguant sur la plateforme auditée
- En France, en plus des acteurs publics nous avons la chance d’avoir le collectif GreenIT pionnier dans l’écoconception numérique depuis 2004
- L’AGEC (2020), Anti-Gaspillage pour une économie circulaire
🙌 Son objectif : réduire le gaspillage des ressources physiques
🎯 Elle cible : les produits et équipements électroniques
📈 Ses mesures : réparabilité, durabilité, recyclage, fin de la destruction
👉 Elle traite le cycle de vie des objets du numérique
- La loi REEN, Réduction de l’empreinte environnementale du numérique
🙌 Son objectif : réduire l’empreinte environnementale des usages et services numériques
🎯 Elle cible : les infrastructures, les logiciels, les sites, les data centers et les usages digitaux
📈Ses mesures : sensibilisation, transparence énergétique (ARCEP/ADEME), écoconception (RGESN), stratégies locales numériques responsables
👉 Elle traite la couche immatérielle du numérique
À ce jour, aucune sanction directe n’est encore appliquée. Mais l'obligation de mise en œuvre et de déclaration de conformité arrivera autour de 2026/2027 pour les services publics. Sûrement, post 2027 pour le secteur privé.
En tant que chef de projet, product owner, UX, product designer, DA, UI, consultant,… nous avons un rôle déterminant. Nos choix de conception façonnent directement l’impact environnemental des plateformes numériques que nous concevons.
Voici quelques pistes :
Les choix fonctionnels : environ 40 % des fonctionnalités demandées ne sont jamais utilisées. Autant de code, de stockage et de requêtes superflues.
La formation et sensibilisation : introduire les principes d’écoconception dès les phases de cadrage ou d’ateliers, en parler, leur montrer que ce n’est pas si compliqué.
La vision low-tech et minimaliste : dans le design de service, une approche sobre et centrée sur la valeur d’usage favorise naturellement l’écoconception (et l’expérience globale). Le digital n’est pas une fin en soi.
Simplifier et limiter les fonctionnalités
Adopter une méthodologie centrée utilisateur
Utiliser l’unité fonctionnelle, elle est votre phare dans le brouillard. Celle-ci vous aide à vous concentrer sur les besoins essentiels et à limiter la sur-conception.
(Exemple : SNCF connect, l’unité fonctionnelle est : réserver un billet de train)
Choisir des hébergeurs sobres (voir The Green Web Foundation)
Privilégier des CMS légers (Grav, Kirby,…), ou l’outil no-code Silex
Structurer ses composants avec un design system pour éviter la redondance et la dette technique
Fixer vous des objectifs (par exemple atteindre “C” sur l’écoindex)
Automatiser la mesure et le pilotage
Sensibiliser et responsabiliser vos collègues en organisant des fresques comme la fresque du numérique pour commencer, on peut s’en occuper.
Mettre en place une démarche d’écoconception, ce n’est pas réinventer son métier, mais adapter légèrement sa méthode et ses outils. Voici quelques pistes :
Les ateliers planet-centric, comme par exemple la méthode de l'écumoire créé par Damien Legendre (LunaWeb/Designers Éthiques), permet d’écrémer les fonctionnalités pour se consacrer au cœur de la valeur du service
Réaliser un persona planète, que nous intégrerons pleinement au parcours. Cela permet de représenter les impacts environnementaux et les ressources consommées...
Mesurer, c’est comprendre, agir. De savoir d’où l’on part pour se fixer des objectifs atteignables dans une démarche itérative continue.
Voici les principaux outils disponibles :
EcoIndex (GreenIT) : outil de référence, récemment refondu, qui calcule un score environnemental par page basé sur les critères GreenIT
GreenIT Analysis : plugin sur le même modèle d’écoindex, mais permet de mesurer l’impact d’un parcours utilisateur et marche derrière un pare-feu (attention à relancer les analyses en testant les appels)
Website Carbon Calculator : calcule l’impact carbone d’une page à partir du poids de ses données, applique des coefficients issus de modèles ACV moyens et ajuste le résultat selon la source d’énergie de l’hébergeur (via The Green Web Foundation)
FruggR : solution payante pour la mesure et le pilotage de la performance environnementale, sociale et d’accessibilité (sites web mais aussi applications et logiciels internes)
Lighthouse : directement disponible dans les DevTools de Google. Permet d’identifier rapidement la répartition du poids des pages dans une logique d’optimisations de performance web
Ces outils permettent d’objectiver les progrès et de créer une culture de la mesure dans les projets numériques responsable, afin de mieux sensibiliser et convaincre vos interlocuteurs.
💡 Bonus pratique : pensez à faire un post mortem de vos projets pour nettoyer vos environnements de test, réduire la charge mémoire (cf. Figma Help – Reduce memory usage) ou le stockage des fichiers intermédiaires.
L’écoconception numérique, c’est avant tout un changement de paradigme : passer d’un modèle d’expansion illimitée à un modèle d’équilibre, entre besoins réels, ressources disponibles et impacts environnementaux.
Elle invite à adopter une vision systémique, à ancrer chaque service dans l’écosystème dont il dépend, et à d’anticiper les transferts de pollution (réduire la consommation énergétique sans augmenter le stockage, par exemple) tout en articulant UX, design de service et durabilité, [sur le sujet et pour aller plus loin, je vous invite à consulter le dernier guide Designers Éthiques sur le design systémique sorti le 06/11/25 par Mellie La Roque].
Mais surtout, elle nous oblige à regarder au-delà de l’écran. L’empreinte du numérique commence dans les sols, se poursuit dans la consommation d’eau et les chaînes énergétiques et s’amplifie encore avec nos usages quotidiens.
Penser un numérique responsable, c’est donc rendre le numérique à nouveau utile, soutenable et accessible tout en préservant les conditions du vivant et la biodiversité.
ESG : critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance, qui permettent d’évaluer la performance globale d’une organisation
GES : Gaz à Effet de Serre, indicateur principal des impacts climatiques
Unité fonctionnelle : notion centrale en écoconception, consistant à mesurer l’impact environnemental du service rendu, plutôt que du produit. Par exemple : « consulter une facture en ligne » plutôt que « le site web de facturation »
ACV : Analyse du Cycle de Vie, méthode normalisée d’évaluation des impacts environnementaux d’un produit ou service sur l’ensemble de son cycle de vie, de la productions à la fin de vie
ADEME : Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie. Établissement public chargé de la recherche, de la mesure et de l’accompagnement des politiques environnementales, dont le numérique responsable
ARCEP : Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des postes et de la distribution de la Presse. Elle encadre les opérateurs télécoms et suit les indicateurs environnementaux du numérique en France
ARCOM : Autorité de Régulation de la COMmunication audiovisuelle et numérique. Elle régule les médias, les plateformes et la publicité, y compris leurs impacts et usages numériques
DINUM : Direction Interministérielle du Numérique, structure de l’état qui coordonne la transformation numérique de l’administration et pilote le RGESN. Ils ont notamment mis en ligne une boîte à outils numérique écoresponsable.
RGESN : Référentiel Général d’écoconception des Services Numériques. Guide officiel fisant les bonnes pratiques d’écoconception pour les services numériques. Bientôt obligatoire pour les services publics et recommandé au privé
RGAA : Référentiel Général d’Amélioration de l’accessibilité. Cadre réglementaire imposant l’accessibilité numérique des services numériques publics et recommandé fortement au privé
REEN : Loi pour la Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique (2021). Texte fondateur du numérique responsable, à l’origine du RGESN et du suivi environnemental confié à l’ADEME et l’ARCEP.
AGEC : Loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (2020). Loi-cadre sur la durabilité des produits (réemploi, réparabilité, fin de la destruction des invendus), qui s’applique aussi aux équipements numériques.
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